Post Covid-19 : La production de films publicitaires en ordre de marche

Interview croisée de Florence Jacob, présidente de l’APFP et son délégué Xavier Prieur

10 mai 2020

Nous sortirons de cette crise plus unis et plus créatifs.

 

Depuis le début de la crise du Covid-19, l’APFP, l’Alliance des Producteurs de Films Publicitaires a œuvré pour limiter les dommages pour les producteurs de films publicitaires et leurs équipes, et préparer la reprise de l’activité du secteur avec le retour des tournages. En première ligne, la présidente Florence Jacob et Xavier Prieur, le délégué au sein de l’Union des Producteurs de Cinéma, ont multiplié les démarches en ce sens.

Alors que le déconfinement débute ce 11 mai avec la menace toujours présente du Covid-19, Florence Jacob nous accorde sa première interview depuis le début de la crise pour affirmer les positions de l’APFP étayées par des actions concrètes. Une prise de parole engagée, forte et progressiste qui annonce le renouveau de la production publicitaire en bousculant les schémas établis. Devant l’importance des propos, nous vous livrons en intégralité cette interview croisée de Florence Jacob et Xavier Prieur.

Packshotmag : Florence Jacob, à peine élue présidente de l’APFP vous vous trouvez confrontée à la gestion de cette crise sans précédent. Comment faites-vous face alors que vous-même en tant que productrice (Caviar) vous subissez les problèmes de tournages annulés et l’impact financier qui en découle ?

Florence Jacob : Du fait de leur activité qui se déploie dans le monde entier, les producteurs ont été très rapidement et très directement touchés par la pandémie. De nombreux tournages ont dû être stoppés dès le mois de février.

A l’APFP, nous avons immédiatement mis en place une cellule de crise animée par Xavier Prieur, notre délégué, et Jean Aittouares, du cabinet OX Avocats, pour accompagner au plus près nos membres dans la gestion de ces situations inédites et chaque fois différentes. Cela nous a permis non seulement de réagir très rapidement, mais aussi de répondre de manière précise à chaque situation particulière, de remonter les informations du terrain et d’éviter les catastrophes humaines et économiques. Nous avons été confrontés à des cas très problématiques d’interdiction de regroupements ou carrément de tournage, de fermeture de frontières, de rapatriements, de législations étrangères très contraignantes ou au contraire très laxistes qui mettaient en danger nos équipes.
D’un point de vue plus personnel, cette période a été très intense, puisque quand le confinement a été déclaré en France, j’étais en préparation d’un tournage au Brésil pour une grande multinationale française, et notre cas d’annulation est ironiquement l’un des seuls à ne pas être résolu à ce jour.
Aucun de nos adhérents ne devrait avoir à subir ce type de déboires financiers et psychologiques. C’est pourquoi nous avons très vite fait corps pour dire non aux pratiques abusives et pour mettre en place des protocoles protégeant les producteurs de films publicitaires et permettant d’assurer l’équilibre dans la prise de responsabilité.

Je dois dire que cette période a également permis de former de formidables coalitions avec l’AACC (Association des Agences-Conseil et Communication) et par extension avec l’UDM (Union Des Marques). Nous avons travaillé main dans la main, notamment avec François Brun, le vice-président de l’APFP, durant cette crise, organisant des réunions toutes les semaines. Nous communiquons ensemble plus qu’auparavant.
Sans parler du travail en équipe avec notre conseil de direction, qui a également travaillé sans relâche pour nous fournir des informations cruciales. Ils ont tous été extrêmement investis et d’une grande aide. J’ai découvert certaines « machines de guerre » prêtes à trouver des solutions dans toutes les situations. Cette épreuve commune a permis de consolider notre Alliance. Cela nous servira dans les négociations futures.

Nous avons pu, par l’intermédiaire de notre fédération européenne (le CFP-e), partager l’expérience et mettre en commun les mesures de plus de 28 pays. Grâce au pôle affaires internationales de notre syndicat (dirigé par le producteur James Hagger), nous suivons les évolutions dans de nombreux pays en temps réel, cela renforce notre message dans un marché aujourd’hui mondialisé.

PSM : Quelles sont les propositions concrètes de l’APFP pour assurer la reprise des tournages en toute sécurité ? Dans quelles conditions les tournages peuvent-ils reprendre ?

Xavier Prieur : Comme dans toute gestion de crise il y a un enchaînement de séquences. Comme Florence l’a expliqué, la première séquence a été assez violente, il fallait protéger et encadrer en urgence les nombreuses annulations, négocier les dédits quand c’était nécessaire et imaginer, quand cela était possible, des reports de tournage à une date inconnue encore à ce jour. Ce travail a mobilisé toutes nos ressources durant des longues semaines. Nous avons, je le crois, pu satisfaire toutes les demandes.

La deuxième mesure fut une adaptation juridique nécessaire à la pandémie. La chaîne de responsabilité a été éprouvée et du fait de l’effritement continu, depuis des années, de la garantie de bonne fin dans les contrats, plus personne ne sait qui est responsable de quoi. Il faut remettre de l’ordre dans cela et je persiste à penser que le bon sens l’emportera. C’est de l’intérêt des annonceurs et des agences.

Pour aller dans ce sens, nous avons mis en place un protocole juridique permettant à nos adhérents de ne pas subir les conséquences d’éventuelles nouvelles annulations liées au Covid-19 et protéger tous les acteurs de la filière. Nous avons également préconisé la modification des échéanciers de paiement qui étaient totalement hors de la réalité financière. Julien Pasquier a réalisé une étude nous permettant de coller plus à la réalité du terrain et démontrant l’obsolescence de nos anciens délais de paiement avec lesquels les producteurs devaient assumer des semaines de trésorerie négative, ce qui est totalement anormal.
Enfin, en partenariat avec le cabinet OX Avocats, nous avons réalisé une master class en visioconférence pour nos adhérents. Il y avait une véritable attente, ce fut un succès avec plus d’une centaine de participants.

C’est l’une des missions principales de l’APFP de protéger ses adhérents et mettre à leur disposition des outils pour négocier leurs contrats. Les acteurs du secteur doivent être conscients que les conséquences de la pandémie du Covid-19 ne sont pas couvertes, pour l’instant, par les assurances. C’est pourquoi nous avons dû adapter nos dispositions contractuelles. Ces dispositions ne concernent que les conséquences de la pandémie. Nous n’avons en aucun cas bouleversé les équilibres contractuels mis en place dans notre secteur.

La troisième séquence sur laquelle nous travaillons est celle de mettre en place des protocoles sanitaires en vue de la reprise des tournages. Il y en a deux, l’un en collaboration avec l’AACC qui sera propre aux producteurs de films publicitaires (84 recommandations) et l’autre dans le cadre du CCHSCT audiovisuel et cinéma (qui regroupent des professionnels de la santé, de la sécurité et de l’hygiène de tous les producteurs qui tournent des films en France). Le premier a été publié et diffusé jeudi dernier et le second est en cours de validation par les différentes instances. C’est un travail énorme qui a été accompli en quelques semaines seulement. Beaucoup d’informations contradictoires ont circulé. C’est normal, le secteur a été durement impacté et les différents acteurs ont voulu parfois pousser les murs. C’est notre rôle aujourd’hui de poser le cadre officiel. Il fallait prendre le temps de consulter tous les corps intermédiaires avant de prendre des décisions qui auront un impact décisif sur notre activité.

Les mesures sont strictes mais elles sont nécessaires pour assurer la sécurité de nos salariés. Nous ferons passer la santé de nos équipes avant tout le reste. Nous serons intransigeants. Tous les acteurs de notre profession sont bien sûr conscients de ces contraintes.

Florence Jacob : Cette crise a clairement mis en avant la nécessité de notre expertise en tant que producteur. Sans aucune prétention, nous pouvons dire, que toutes les parties souhaitent suivre nos conseils pour la relance des tournages.
Il est crucial que nous continuions cette collaboration avec l’AACC et l’UDM afin que les prochaines créations qui verront le jour soient en adéquation avec les protocoles mis en place.
Malheureusement si les idées continuent à ne pas prendre en compte leur « faisabilité », beaucoup de scripts ne pourront se réaliser dans l’immédiat. Nous ferons notre possible pour que cela se fasse en bonne intelligence.

Nous n’avions pas anticipé un tel drame mais la production publicitaire était sur une mauvaise voie. Les compétitions étaient devenues d’une agressivité et d’une opacité importante sur tous les pôles. Nous avons besoin de plus de transparence dans nos échanges avec les agences et les annonceurs. La responsabilité d’un producteur est énorme et je crois que tout le monde s’en rend compte aujourd’hui.
Cette responsabilité est avant tout juridique. S’il se passe quoi que ce soit, c’est le producteur qui va voir sa responsabilité engagée. Pour les annonceurs et les agences, c’est surtout leur image qui peut être affectée par un incident lié au Covid.

Je me répète, mais c’est toute la chaîne de production qu’il faut anticiper, de l’écriture des scripts, aux options de tournage possible. Sur la partie création, il faudra s’appuyer sur les talents de nos réalisateurs pour adapter la création aux contraintes, ils en ont l’habitude. C’est leur savoir-faire !

Pour la partie tournage, les producteurs sont les seuls responsables de l’hygiène et de la sécurité. Notre mission est la protection des techniciens, des mannequins, des artistes-interprètes et c’est bien sûr grâce à l’expérience de nos industries techniques que nous réussirons à contrôler les risques. Le fruit de tout cela est que nous ne devons plus et nous ne produirons plus comme avant !

PSM : Ces nouvelles règles vont accroître le coût des tournages, qu’est-ce que cela représente comme surcoût et à la charge de qui ?

Xavier Prieur : Comme nous l’avons annoncé dans un communiqué de presse cosigné avec l’AACC, nous estimons entre 10 % et 30 % l’augmentation du coût des tournages à la reprise, à cause des mesures sanitaires qui vont souvent rallonger les tournages. Les producteurs feront évidemment tout leur possible pour affiner ce surcoût pour peser le moins possible dans les budgets des annonceurs.

PSM : Les contraintes budgétaires de production ont fait privilégier des solutions de production à l’étranger moins onéreuses. Est-ce que les nouvelles donnes imposées par la crise permettent d’avoir des solutions avantageuses et pérennes pour le retour des tournages sur le sol français ?

Florence Jacob : On l’oublie trop souvent mais la production publicitaire est d’abord une industrie qu’il va falloir relancer. Les productions, les artistes, les techniciens, les industries techniques sont aujourd’hui à l’arrêt quasi total. Faire repartir les tournages à l’étranger ne va pas aider à nous relever à court et long terme.

Notre filière a bénéficié de mesures gouvernementales importantes, à travers le recours à l’activité partielle, les reports de charges, les prêts garantis. C’est grâce à ces aides que nous avons pu traverser cette crise plus sereinement. La gestion de la crise est très différente chez nos amis producteurs étrangers. Dans certains pays c’est un désastre.

C’est pour toutes ces raisons que la relocalisation de certaines catégories de projets en France semble juste et nécessaire.

L’impact écologique du fait des tournages à l’étranger est immense, il faut arrêter de faire semblant. Il faut maintenant traduire les belles paroles dans les faits et agir. Les annonceurs, les agences et les producteurs doivent créer une chaîne plus responsable, plus écologique, plus locale.

Nous souhaitons depuis plusieurs années une relocalisation de certains tournages de films publicitaires en France. Nous estimons qu’elle peut créer plus de 20 000 emplois directs en France dans le seul secteur de la production de films publicitaires. Nous évaluons à plus de 150 millions d’euros le montant des sommes qui pourraient être investies en France au lieu d’être dépensées à l’étranger. Un rapport confirme qu’un euro investi en France et particulièrement en production rapporte 7 euros en valeur PIB, c’est plus que l’industrie automobile.

Nous ne prenons pas en compte les films qui doivent nécessairement être tournés à l’étranger en raison des décors naturels, des saisons, du fait de la localisation des égéries et autres problématiques. Là encore c’est le producteur qui doit arbitrer ces décisions pour le meilleur intérêt de l’annonceur. Il faut mettre un terme aux grilles préétablies, aux idées reçues et aux usages devenus obsolètes.

Le financement de la production publicitaire ne bénéficie d’aucune aide, ni crédit d’impôt, ni subventions car nous ne sommes pas reconnus comme œuvre culturelle. Il n’y a aucune remontée de recette sur la diffusion et l’exploitation des campagnes. Les annonceurs financent donc à 100 % leurs campagnes ce qui, nous le comprenons, est un coût très lourd. Chaque production est un prototype, ce qui explique leur coût élevé, elle demande une grande expertise de la part de techniciens très expérimentés à qui nous versons logiquement des rémunérations élevées.

C’est pourquoi nous souhaitons la mise en place d’un crédit d’impôt conditionné à la relocalisation des tournages en France. Une telle mesure est fondamentale pour permettre une reprise économique de notre secteur. Au-delà des créations d’emplois, cette mesure fiscale aura également un impact écologique positif.

Xavier Prieur : Cela fait longtemps que nous travaillons sur ces problématiques fiscales. Dernièrement, par l’intermédiaire de notre fédération (la FESAC), nous avons adressé aux pouvoirs publics des propositions relatives à l’exonération des charges sociales patronales jusqu’à fin 2021 ainsi que d’autres mesures telles que la création d’un prêt « spectacle ».

PSM : Pour conclure, en dépit de la crise sanitaire, peut-on être optimiste pour une reprise de l’activité du secteur?

Xavier Prieur : Je suis assez optimiste sur la reprise qui est plus rapide que prévue. Nous avons œuvré pour que cette reprise soit possible dans les meilleures conditions sanitaires et économiques. Je crois que l’APFP a joué un rôle assez fort d’amortisseur dans cette crise. Nous avons limité la casse. Comme souvent en temps de crise, les membres d’une même corporation se serrent les coudes. Cela s’est produit de façon extraordinaire au sein de notre syndicat. Nous avons clairement servi de catalyseur. Il était important de maintenir au plus haut le moral de nos adhérents. Les producteurs de films publicitaires sont plus unis qu’avant. D’ailleurs, depuis mars, nous avons de nombreuses demandes d’adhésion. Nous sortirons de cette crise plus puissants et plus unis.

Florence Jacob : Bien sûr qu’on peut être optimiste. Cette crise a mis en péril beaucoup de projets, mais elle a aussi permis de se concentrer sur l’essentiel et de se poser les bonnes questions.
Pour ma part, et cela n’engage que moi, je pense qu’il faut tirer une grande leçon de vie de cette crise du point vue des rapports humains mais aussi environnemental. Il faut oser bousculer les schémas établis.
D’une manière plus pragmatique, je pense que notre plus grande force est notre expertise et notre très grande adaptabilité. Nous en faisons preuve à chaque instant lors des tournages et de leur préparation. Nous ne produirons plus comme avant. Nous devons accélérer la relocalisation des tournages, s’impliquer plus et plus tôt au regard de la création des films, améliorer les paramètres écologiques de nos tournages. Ce bouleversement de nos habitudes doit nous servir pour modifier nos process et dialoguer de façon plus intense avec tous les acteurs de notre secteur.